Tandis que nous nous immergeons dans la production documentaire annuelle, nous traversons une séquence politique qui nous force à sortir de nos zones de confort. Venant à notre rencontre comme un écho de la violence du monde, les films qui nous touchent ne sont pas des refuges pour y échapper, mais un moyen de plus pour y faire face. Ces films nous rappellent à quel point le cinéma est un outil nécessaire pour nourrir le monde plutôt que de le fuir – et cela nous est toujours vital, des deux côtés de l’écran, entre ceux qui fabriquent et ceux qui regardent.
Au-delà de donner sens aux histoires traversées, nombreux sont les films qui tentent, par le geste de filmer, d’agir sur le réel et de faire du tournage un acte de métamorphose.
Ces films ne viennent pas seulement pour raconter mais pour faire : réparer un lien, redonner sens ou force à une communauté, transcender la mort ou l’impossible communication entre les espèces.
Avec l’énergie qui traverse Les Miennes, d’une manière plus sombre dans Pāragate, il s’agit de refaire lien avec une mère dont le premier éloignement est l’exil. Ces films, où l’histoire familiale prend racine dans le pays maternel, sont le geste de réalisatrices qui, en filmant, trouvent enfin leur juste place. Proche de ces gestes de réparation familiale, nombre d’autres films regardés cette année parlent de la mort et de la maladie comme pour l’apprivoiser, témoignant depuis l’intime pour provoquer quelque chose dans le réel : dans Berthe is dead but it’s ok, la mise en scène baroque tient lieu de rituel pour affronter le départ d’une personne aimée. Dans Play Dead, le réalisateur se fait cobaye : par le truchement d’expérimentations de métamorphoses jusqu’aux effets spéciaux, il met son corps en jeu pour creuser et contrer l’angoisse de putréfaction. Pour ces films, le tournage est un élan performatif où se devine aussi une dimension joueuse – et le plaisir de faire, ensemble, nous est donné en partage.
Avec ces œuvres où des questions existentielles se posent sur le mode d’une lutte intérieure, viennent résonner d’autres qui nous parlent de résistance. On n’est pas nos parents retrace la lutte des ouvriers maghrébins immigrés des usines Citroën, et la façon dont le pouvoir « fabrique » le racisme pour diviser les ouvriers – et ainsi mieux les exploiter. Découvert entre les deux tours des législatives, ce film a fait écho directement avec ce que nous traversions. Le film choral Diaries from Lebanon nous parle lui depuis un espace politique en décomposition, quand le peuple prend la rue, avec le désespoir, la rage et la vitalité propre à Beyrouth ; Beyrouth, ville d’avant-garde, préfiguration du chaos qui guette ailleurs.
Du monde arabe nous sont parvenus de nombreux films de migration et d’exil, et par-delà le désespoir, c’est la force d’une expérience sensible qui nous est transmise, dans tout ce qui s’invente pour dépasser la douleur et la solitude. Dans Je suis dehors, c’est par la puissance de l’imagination et de la parole poétique que celui qui semble le dernier homme sur terre transcende sa solitude. Parfois, sans plus savoir où est la maison, on se re-territorialise dans une communauté de pensée, d’amitié, de luttes. Dans La Langue du feu, le réalisateur chemine avec son frère qui cherche du travail, sur la trajectoire d’une migration inversée, de l’Algérie vers l’Afrique subsaharienne ; dans un monde qui marche sur la tête, c’est la philosophie de vie qui accompagne ces personnages qui est leur vrai port d’attache. Dans Ali Baba les photos, c’est une mémoire commune après la destruction de la jungle de Calais qui réunit dans une amitié indéfectible un migrant, un activiste de Calais et la réalisatrice dans le souvenir intense et étrangement nostalgique de cette « ville » disparue.
Face à l’exil comme condition de survie dans un monde en passe de devenir partout inhabitable, habiter encore là où l’on est né semble presque exceptionnel. Longtemps, ce regard filme une communauté, un territoire rural invisibilisé. Ce qui est habité, ici, littéralement, c’est une manière de percevoir le monde. La Maison d’en face, retour mélancolique sur un lieu d’enfance, semble vouloir faire du film lui-même un lieu pour échapper à la course effrénée du temps.
Enfin nous avons été sensibles à des films venant questionner depuis le non-humain, notre possibilité de communiquer. Attestant d’une sorte de désespoir de l’humanité, ces films gardent une vitalité, en opérant une sorte de décentrage : en imaginant un dialogue animal, ou en tentant de « faire parler » le quartz, les films Le Colloque des chiens et Les Sentiers analogues, sur des modes différents, évoquent une utopie : par le langage du cinéma, réinventer une communication entre les autres espèces qui vivent avec nous sur la Terre.
Safia Benhaïm et Dounia Wolteche-Bovet
Débats animés par Safia Benhaïm et Dounia Wolteche-Bovet.
En présence des réalisateurices et/ou des producteurices.
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