Édito

Dans Fragments de rêves, une cinéaste parcourt les routes de l’Algérie à la rencontre de militants, d’étudiants, de personnes engagées dans la société civile. Leurs paroles et leurs récits se mêlent au territoire et le film tisse de ces individualités isolées un désir commun d’émancipation, « une liberté à arracher ». Le film des Pirates des lentillères, Une île et une nuit, s’invente avec le collectif pour raconter leur lutte d’occupation dans des mises en scènes réjouissantes de fantaisie et de cinéma. Dans les années soixante-dix en Allemagne, des hommes et des femmes racontent le soulèvement de Hambourg de 1923 auquel ils et elles ont participé cinquante ans plus tôt âgé·es d’à peine 20 ans, il y a un siècle. Survivant·es de la répression qui a suivi, leurs émotions et leurs convictions sont intactes et le film les réunit. On pourrait choisir dans chaque programmation un film qui propose une forme d’émancipation et qui prolongerait la réflexion au cœur des deux séminaires de cette édition. Quelle expérience peut se partager dans le projet et la fabrication d’un film et ensuite avec ceux qui le regarderont ? La mise en commun est déjà un mouvement d’émancipation et les pratiques d’ateliers permettent justement de vivre cette expérience pour sortir des récits institués, échapper aux places assignées, pour entendre des personnes et paroles reléguées. En quoi le cinéma documentaire permet-il d’accompagner ou d’élaborer des formes de réparation ou de réappropriation, construire le récit de sa propre histoire ? 

Il y a trente ans, nous assistions sidéré·es à la guerre en Yougoslavie, au siège de Sarajevo, au génocide de Srebrenica sous le regard de la presse et du monde. Peu de temps après, les premiers films, les premiers journaux, essais, romans racontent et aujourd’hui encore de nouveaux films, fictions et documentaires, luttent contre le révisionnisme plus que jamais à l’œuvre. À Gaza, interdite d’accès à la presse étrangère, toutes les images, tous les témoignages, nous viennent des Palestiniens et Palestiniennes, et les films qui nous arrivent, bien que ne nous épargnant aucune violence, s’inscrivent dans le temps d’un récit et toujours d’une relation, une possibilité de regarder ensemble et d’être affecté·e autrement que par la sidération. C’est à cette énergie de regarder ensemble les multiples fractures du réel que nous invitent les deux cinéastes programmatrices d’Expériences du regard, soulignant la force transmise par les films qu’elles ont choisis cette année. 

La programmation Docmonde et les séances spéciales consacrées à la jeune création africaine mettent en lumière des histoires souvent ignorées par les récits dominants, en repoussant certaines conventions du cinéma documentaire pour laisser place à des formes libres. Ces films affirment plus que jamais le cinéma comme un espace d’invention et de pensée où les voix minorisées peuvent s’exprimer et se reconstruire. Si chaque année, accueillir de nouveaux regards de cinéastes est un enjeu important, celui de convier de nouvelles et nouveaux spectateur·ices à franchir le seuil de la salle pour découvrir et prendre part à ces rencontres est crucial ; c’est l’invitation qui est faite avec le nouveau parcours découverte et la programmation jeune public. Et cette année, les débats pourront se prolonger à l’initiative des festivaliers et festivalières lors de trois agoras. 

Parce que partager plus largement ces récits est un enjeu majeur de cette trente-septième édition. 

Christophe Postic et Fabienne Hanclot