Avec deux collègues et amies, directrices de festival de cinéma documentaire, à Rennes et Sarajevo, nous nous interrogions récemment sur le sens et le rôle de nos propositions artistiques et culturelles dans une période si tourmentée – en référence aux guerres en cours, aux tragédies humaines des personnes en exil, au bouleversement climatique indéniable et à l’ambiance politique générale.
La période est peu portée vers les idéaux d’égalité et de solidarité, de fraternité et de sororité, pourtant les seuls socles possibles d’une vie en commun. L’aggravation de ces situations alarmantes et le climat politique délétère et haineux que nous affrontons en France et ailleurs rendent encore plus déterminées nos réflexions inquiètes qui n’étaient ni accablées ni triomphalistes mais les plus pragmatiques, empreintes de notre expérience du rôle et de l’importance de la culture.
La complexité des représentations que le cinéma documentaire nous propose, la diversité de ses écritures, de ces récits du réel et de ces expériences constituent un des remparts, insuffisant mais nécessaire, contre les « narratifs » réducteurs et doivent nous permettre de retrouver une vérité, non pas du discours mais de la parole et des actes que toute relation engendre et qui constitue souvent le cœur des films. Se confronter à cette complexité pour bouleverser nos propres représentations, secouer les confortables pensées toutes faites, déranger les paisibles lieux communs, accepter le trouble pour penser autrement, n’est pas chose facile. Mais c’est la responsabilité que prennent les films et leurs auteurices qui nous y engagent.
« Que veut le cinéma ? Tout. Que peut le cinéma ? Rien. » disait Godard.
Que peuvent les films et que faisons-nous chacun depuis nos places, fabricants ou regardants ? C’est l’obsédante question qui traverse toutes les programmations de cette édition.
Le séminaire « Des films en état de guerre » invite des cinéastes confrontés à cette situation à partager leur expérience, aux côtés d’historiens du cinéma. L’exceptionnelle programmation des films portugais qui recouvre la période révolutionnaire se prolongera par la possibilité de découvrir António Campos, cinéaste portugais rarement mis à l’honneur et pourtant l’un des plus grands. « Ce qu’il faut, c’est construire un présent solide où l’on peut articuler l’avenir. » dit-il à propos de son cinéma. Exceptionnelle aussi, la première rétrospective en France de Robert Beavers, cinéaste d’avant-garde dont les films seront projetés en 16 et 35 mm, une expérience irremplaçable.
À Lussas, si le choix des films est majoritairement le fait de cinéastes avec leur conscience aiguë de cette responsabilité à filmer, l’acte de choisir est partagé par celles et ceux qui ont tout autant conscience de leur responsabilité à programmer. De la « Route du doc : Grèce » à « Expériences du regard » et avec Akosh Szelevényi qui nous fera entendre la musique de la rencontre, nous vous attendons cette année à nouveau pour partager des films qui prennent la mesure du souffle, de la tension, et de la résistance du monde.
« Que fait le cinéma ? Quelque chose » nous encourageait Godard.
Proposition à la fois réflexive et extensive, le séminaire « Histoires de programmation » convie cinéastes et chercheur·euses à discuter avec nous de l’acte de programmer en s’appuyant sur des expériences situées qui viennent prolonger mais aussi bousculer nos pratiques. Préserver les espaces d’exposition de la création artistique, la rencontre avec des spectateur·trices et les échanges autour des œuvres, revendiquer l’indépendance et la liberté de nos choix sont et resteront les fondements de notre engagement, pour que les films nous agitent, pour que la vie continue de nous irriguer.
Christophe Postic
Ardèche images
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